87.

Les taxis des vétérans traversaient Brooklyn, cap au nord-est avant de virer pratiquement plein est.

Ils avançaient inéluctablement vers Monserrat. Ils approchaient de la conclusion de l’opération Green Band.

Droit et alerte au volant, David Hudson vivait un réel moment d’anxiété.

Les hommes de Monserrat étaient tout à fait susceptibles de surveiller le quartier, postés sur des toits ou tapis à l’intérieur d’appartements sombres. S’ils repéraient la section d’assaut, l’échange n’aurait pas lieu. L’opération Green Band serait alors un échec.

Hudson observait attentivement les immeubles de brique trapus et tristes qu’ils croisaient sur le chemin de leur rendez-vous. Il notait tout. Un petit groupe de jeunes sortant sagement du Turner’s Grill. Leurs voix portaient – des sons graves et gutturaux, au rythme syncopé du langage de la rue.

Hudson ralentit l’allure. Il trouva une place de stationnement sur le bas-côté d’une petite rue en pente du quartier de Bedford-Stuyvesant.

Il se gara et sortit de son véhicule sans cesser de fouiller du regard les alentours. Il finit par ouvrir le coffre cabossé de son taxi. Des valises en vinyle gris s’y trouvaient, recelant les valeurs volées.

Hudson extirpa les bagages du coffre et se dirigea péniblement mais aussi vite que possible vers une usine en briques rouges qui faisait l’angle de la rue suivante.

Il avait la quasi-certitude d’être observé. Monserrat était dans les parages. Tous ses sens en alerte corroboraient ce simple message.

L’heure du jugement avait sonné. Tout ce que Hudson avait appris dans les forces spéciales, contre l’expérience de Monserrat, sa duplicité.

Hudson ouvrit d’un coup d’épaule la porte en bois d’un immeuble abritant des appartements minables et une petite fabrique de chaussures italo-américaine, la Gino Company of Milan, à en croire une enseigne abandonnée sur le sol.

Il s’enfonça dans un couloir mal éclairé, où il fut immédiatement assailli par des relents de cuisine confinés. L’odeur de moisi de vieux vêtements d’hiver flottait dans l’air. Le lieu choisi pour la rencontre semblait désert.

— Ne vous retournez pas, colonel.

Trois hommes armés, Beretta et Magnum, surgirent dans le passage sombre.

— Plaquez-vous dos au mur. Comme ça. Là. Parfait, colonel Hudson.

Le chef parlait avec un accent espagnol, vraisemblablement cubain. Monserrat régnait sur les Caraïbes et sur la majeure partie des activités terroristes d’Amérique latine. Au train où il allait, il serait un jour à la tête des réseaux de l’ensemble des pays en voie de développement.

— Je ne suis pas armé, fit Hudson.

— Je dois quand même vous fouiller.

L’un des hommes se campa à moins d’un mètre de lui. Il braqua son arme sur un point imaginaire entre ses deux yeux. C’était un truc très en vogue chez les terroristes.

Hudson lui-même l’avait appris à Fort Bragg. À bout portant, vise les yeux.

Le deuxième homme promena les mains de haut en bas sur son corps.

Le troisième individu inspectait les valises grises, qu’il entailla avec un couteau pour s’assurer qu’elles n’étaient pas munies d’un double fond.

— Montez ! lui ordonna alors le terroriste qui le tenait en respect. Ils empruntèrent un escalier raide aux marches grinçantes sur trois étages. Le conduisaient-ils à Monserrat ? Ou s’agissait-il d’une imposture de plus ?

— Vous voilà rendu à votre étage, colonel. C’est la porte juste en face. Vous n’avez qu’à entrer. Vous êtes attendu.

— Une seconde. J’ai une question à vous poser, à vous trois. Simple curiosité de ma part.

Hudson s’adressa aux trois hommes sans se retourner pour leur faire face.

Il perçut un grognement impatient dans son dos.

Le Lézard. Les interrogatoires passés. La formation spécifique qu’on lui avait dispensée à l’armée. Le cerveau de David Hudson travaillait à plein régime.

Tout cela pour ce moment précis ?

— Est-ce qu’il arrive qu’on vous explique ce qui se passe réellement ? Est-ce que quelqu’un a pris la peine de vous dire la vérité sur cette opération ? Savez-vous ce qu’est véritablement ce rendez-vous ? En connaissez-vous les raisons ?

— Inutile de frapper, colonel, lui dit calmement le chef pour toute réponse. Contentez-vous de rentrer. Vous êtes attendu. Tout ce que vous tenterez de faire a également été anticipé, colonel.

Un faisceau de lumière jaune et blême émanait de l’intérieur de la pièce du troisième étage. Hudson s’immobilisa avant de franchir le pas de la porte.

Il était sur le point d’affronter le mystérieux François Monserrat. Il s’apprêtait à conclure l’opération Green Band, à mettre un point final à sa mission.

Le Lézard, là-bas, au Vietnam, lui avait enseigné une chose fondamentale : il lui avait appris comment on joue à un jeu dont on ne connaît pas les règles. C’était la clé du succès de toute guérilla urbaine.

Le colonel David Hudson contre Monserrat.

La partie pouvait commencer.

Vendredi Noir
titlepage.xhtml
vendredi noir_split_000.htm
vendredi noir_split_001.htm
vendredi noir_split_002.htm
vendredi noir_split_003.htm
vendredi noir_split_004.htm
vendredi noir_split_005.htm
vendredi noir_split_006.htm
vendredi noir_split_007.htm
vendredi noir_split_008.htm
vendredi noir_split_009.htm
vendredi noir_split_010.htm
vendredi noir_split_011.htm
vendredi noir_split_012.htm
vendredi noir_split_013.htm
vendredi noir_split_014.htm
vendredi noir_split_015.htm
vendredi noir_split_016.htm
vendredi noir_split_017.htm
vendredi noir_split_018.htm
vendredi noir_split_019.htm
vendredi noir_split_020.htm
vendredi noir_split_021.htm
vendredi noir_split_022.htm
vendredi noir_split_023.htm
vendredi noir_split_024.htm
vendredi noir_split_025.htm
vendredi noir_split_026.htm
vendredi noir_split_027.htm
vendredi noir_split_028.htm
vendredi noir_split_029.htm
vendredi noir_split_030.htm
vendredi noir_split_031.htm
vendredi noir_split_032.htm
vendredi noir_split_033.htm
vendredi noir_split_034.htm
vendredi noir_split_035.htm
vendredi noir_split_036.htm
vendredi noir_split_037.htm
vendredi noir_split_038.htm
vendredi noir_split_039.htm
vendredi noir_split_040.htm
vendredi noir_split_041.htm
vendredi noir_split_042.htm
vendredi noir_split_043.htm
vendredi noir_split_044.htm
vendredi noir_split_045.htm
vendredi noir_split_046.htm
vendredi noir_split_047.htm
vendredi noir_split_048.htm
vendredi noir_split_049.htm
vendredi noir_split_050.htm
vendredi noir_split_051.htm
vendredi noir_split_052.htm
vendredi noir_split_053.htm
vendredi noir_split_054.htm
vendredi noir_split_055.htm
vendredi noir_split_056.htm
vendredi noir_split_057.htm
vendredi noir_split_058.htm
vendredi noir_split_059.htm
vendredi noir_split_060.htm
vendredi noir_split_061.htm
vendredi noir_split_062.htm
vendredi noir_split_063.htm
vendredi noir_split_064.htm
vendredi noir_split_065.htm
vendredi noir_split_066.htm
vendredi noir_split_067.htm
vendredi noir_split_068.htm
vendredi noir_split_069.htm
vendredi noir_split_070.htm
vendredi noir_split_071.htm
vendredi noir_split_072.htm
vendredi noir_split_073.htm
vendredi noir_split_074.htm
vendredi noir_split_075.htm
vendredi noir_split_076.htm
vendredi noir_split_077.htm
vendredi noir_split_078.htm
vendredi noir_split_079.htm
vendredi noir_split_080.htm
vendredi noir_split_081.htm
vendredi noir_split_082.htm
vendredi noir_split_083.htm
vendredi noir_split_084.htm
vendredi noir_split_085.htm
vendredi noir_split_086.htm
vendredi noir_split_087.htm
vendredi noir_split_088.htm
vendredi noir_split_089.htm
vendredi noir_split_090.htm
vendredi noir_split_091.htm
vendredi noir_split_092.htm
vendredi noir_split_093.htm
vendredi noir_split_094.htm
vendredi noir_split_095.htm
vendredi noir_split_096.htm
vendredi noir_split_097.htm
vendredi noir_split_098.htm
vendredi noir_split_099.htm
vendredi noir_split_100.htm
vendredi noir_split_101.htm
vendredi noir_split_102.htm
vendredi noir_split_103.htm
vendredi noir_split_104.htm
vendredi noir_split_105.htm
vendredi noir_split_106.htm
vendredi noir_split_107.htm
vendredi noir_split_108.htm
vendredi noir_split_109.htm
vendredi noir_split_110.htm